Parole et fonction de l’interprète en contexte de crises diplomatiques dans l’Anabase de Xénophon

Word and function of the interpreter in the context of diplomatic crises in Xenophon's Anabasis

Ophélie Lécuyer

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Ophélie Lécuyer, 2023, “Parole et fonction de l’interprète en contexte de crises diplomatiques dans l’Anabase de Xénophon”, Mutations en Méditerranée, no 1, Online since 01 November 2023, connection on 21 November 2024. URL : https://www.revue-mem.com/244

Le dialogue diplomatique sous-tend aujourd’hui la bonne entente entre les nations du monde entier. Sur le devant de la scène, seuls les politiciens et leurs ministères figurent. Pourtant, en coulisse, les échanges entre alloglottes reposent sur le travail assidu des interprètes, ces individus bilingues, capables de traduire spontanément un discours dans une autre langue. C’est là une activité ancestrale, qui remonte aussi loin que les premiers échanges interethniques. En Grèce ancienne, l’existence de l’interprétariat est indéniable du fait des relations intensives entre les peuples méditerranéens et égéens, toutefois, cette activité souffre d’un cruel manque de documentation. Pour l’époque classique, l’Anabase de Xénophon fait exception au silence des sources sur le sujet. Dans ce récit, l’auteur relate l’expédition des Dix-Mille, ces mercenaires grecs qui, en 401/400 avant notre ère, parcoururent pour la première fois de l’histoire le vaste territoire de l’Empire perse. Les conditions extrêmes du périple et le contexte perpétuel de crise confèrent à l’interprète une position stratégique déterminante. Il reconquiert alors une identité et une parole dont il est bien souvent dépossédé. Ainsi, l’étude des interprètes dans l’Anabase offre la rare possibilité de reconstituer un fragment du paysage diplomatique de l’Antiquité grecque tout en questionnant ses évolutions contemporaines.

Today, diplomatic dialogue underpins harmony between nations all around the world. On the front stage, only politicians and their ministries figure. Behind the scenes, however, exchanges between alloglots rely on the diligent work of interpreters, bilingual people who are capable of spontaneously translating a speech into another language. This is an ancestral activity, dating back as far as the first inter-ethnic exchanges. In ancient Greece, the existence of interpreting is undeniable due to the intensive relations between the Mediterranean and Aegean peoples, yet this activity suffers from a cruel lack of documentation. Xenophon's Anabasis is an exception to the silence of classical sources on the subject. In this opus, the author recounts the expedition of the Ten Thousand, the Greek mercenaries who, in 401/400 BC, crossed the vast territory of the Persian Empire for the first time in History. The extreme conditions of the journey and the perpetual context of crisis gave the interpreter a decisive strategic position. They regained an identity and a voice they had often been dispossessed of. In this way, the study of interpreters in Anabasis offers the rare opportunity to reconstruct a fragment of the diplomatic landscape of Greek antiquity, while questioning its contemporary evolutions.

L’Anabase, texte établi et traduit par Paul Masqueray, 2009 (1ère édition de 1930), Paris (CUF).

Introduction

Dans le monde grec classique, il existait de nombreux dialectes (Hummel 2007), caractéristiques de certaines cités ou régions et représentatifs d’une culture locale (Horrocks 2014). Mais à plus vaste échelle, la langue grecque, dans toute sa diversité, intégrait la koinè : au même titre que le polythéisme ou le sang, elle faisait partie d’un patrimoine immatériel commun à tous les Grecs et sur lequel reposait le sentiment d’appartenance à un même peuple (Malkin 2018). Le monde grec des ve et ive siècles avant Jésus-Christ était loin de se limiter au strict territoire d’origine de la culture hellénique. En effet, l’époque classique, bien souvent représentée comme l’âge d’or de la civilisation grecque, connut un essor économique sans précédent, encouragé par le vif accroissement des échanges commerciaux. Certes, les Grecs ont toujours été en contact avec leurs voisins du monde méditerranéen (Schnapp 1999, p. 63-69), mais ces relations s’intensifient et se multiplient au tournant du ve siècle avant notre ère (Low 2007).

Égyptiens, Phéniciens, Romains ou Perses, aucun de ces peuples ne partageait la même culture et la même langue. En vue d’établir des relations interethniques durables, il fut indispensable pour eux comme pour les Grecs d’apprendre les différentes langues (Biville, Decourt et Rougemont 2008 ; Bortolussi 2008, p. 91 et suivantes). Le plurilinguisme était donc répandu et, indubitablement, il devait exister des individus affectés à la traduction orale, écrite, directe ou différée. C’est d’ailleurs ainsi que l’Académie française définit l’interprète : « Personne qui sert de traducteur entre des interlocuteurs de langue différente. »1

En grec, l’interprète est qualifié par un terme unique  : ἑρμην-εύς (Chantraine 2009, p. 373). Selon Bruno Rochette, le terme dérive de Ἑρμῆς, Hermès, le dieu messager, l’intermédiaire par excellence entre les hommes et les dieux (Rochette 1996, p. 325-347). L’origine du mot reflète assez fidèlement le rôle de l’interprète : il incarne le traducteur d’un message incompréhensible à tous sauf à lui-même. Cependant, le terme renvoie aussi à l’interprète symbolique de la volonté divine, tels le devin ou le prophète, par conséquent, tous les interprètes évoqués dans les sources ne correspondent pas aux professionnels de la traduction. D’ailleurs, les mentions concernent rarement la fonction diplomatique.

Pourtant, lorsque l’on considère le contexte de l’époque classique, l’interprète apparaît comme un personnage clé dans les relations interethniques. Maria Elena De Luna confirme la présence des interprètes dans des situations de diplomatie officielle, notamment dans le cadre d’ambassades (De Luna 2003, p. 284). Toutefois, la documentation sur le sujet s’avère particulièrement pauvre, ce qui restreint grandement l’historien dans ses recherches. Pour Bruno Rochette, le silence des sources peut être lié au manque d’intérêt des Grecs envers les langues étrangères car, explique-t-il, les Grecs considéraient ces langues aussi barbares que leurs peuples d’appartenance (Rochette 1996, p. 327). Le fait est, aussi, que les auteurs se sont davantage concentrés sur les ambassadeurs et les dignitaires, attribuant la parole à ces derniers et omettant la phase de transposition et de traduction opérée par les interprètes lors des échanges (Mosley 1973 ; Piccirilli 2002).

Pour l’époque classique, une seule source littéraire comporte des références à l’interprétariat. Il s’agit de l’Anabase de Xénophon. L’œuvre relate l’expédition des quelque dix mille mercenaires grecs qui furent enrôlés par Cyrus le Jeune, cadet de la famille royale perse (Hirsch 1985), dans sa tentative d’usurpation du trône perse, en 401 av. J.-C (Briant 1996, p. 634-635). Le caractère autobiographique du texte renforce la valeur du témoignage. Effectivement, Xénophon d’Athènes, alors âgé d’une trentaine d’années, rejoignit le commandement du contingent grec et survécut à la longue et périlleuse retraite de l’armée après sa déroute (Azoulay 2004). Il aurait rédigé cette œuvre dans sa vieillesse, entre 390 et 380 av. J.-C (Cawkwell 2004, p. 47-67). Considérée comme une source incontournable sur le mercenariat grec, l’Anabase constitue en l’occurrence une documentation tout aussi précieuse sur l’interprétariat (Ducrey 2019).

L’armée de Cyrus le Jeune mêla deux langues et deux cultures (grecque et perse) (Brûlé 1995). Tant que les troupes hellènes étaient intégrées à ce corps militaire, la langue ne semblait pas problématique car les commandants maîtrisaient les deux langues ou disposaient d’interprètes. Dans ce contexte militaire, le bilinguisme servait un objectif fédérateur puisqu’il s’agissait d’unifier des soldats de langues différentes et de les manœuvrer sur le champ de bataille. Fondamentalement, la stratégie militaire et la cohésion de ces troupes reposaient sur la compréhension réciproque des alloglottes.

Toutefois, dans l’Anabase, les enjeux évoluent entre l’avant et l’après-Counaxa. En effet, en 401 av. J.-C., les armées de Cyrus et de son frère, Artaxerxès II, s’affrontent. A l’issue de la bataille, Cyrus perd la vie, son armée est mise en déroute, et le contingent mercenaire se retrouve livré à lui-même, traqué par les forces perses. Ce renversement de la situation entraîne un changement immédiat de paradigme. La compréhension des langues et dialectes étrangers intègre alors un processus non plus de cohésion mais bien de survie. Poursuivie par les Perses, l’armée grecque entame alors une longue remontée des terres (Waterfield 2006 ; Lee 2007). Mais la progression du contingent mercenaire se heurte à l’hostilité des communautés locales, dont il ignore tout, y compris les liens avec le pouvoir perse (Vlassopoulos 2013). C’est dans ce contexte d’instabilité permanente et de tensions interethniques que Xénophon évoque les interventions, souvent salvatrices, des individus bilingues.

Cette étude propose donc une analyse de l’interprétariat antique d’après le témoignage unique de Xénophon dans l’Anabase. Qui sont les interprètes ? Quels rôles assument-ils ? Et enfin, pourquoi sont-ils si souvent négligés ? Comment expliquer leur omission compte tenu de leur fonction essentielle ? D’abord, l’analyse portera sur les rôles de l’interprète en contexte de crise et les enjeux du bilinguisme dans les rapports de force entre deux peuples. Puis, il s’agira de dépasser l’approche précédente en abordant l’identité des interprètes et en tentant de distinguer l’individu dissimulé derrière la fonction. Tout l’enjeu de cette étude est de valoriser une fonction, un métier qui n’est jamais étudié isolément du fait du manque de documentation sur le sujet. Et pourtant, comprendre les origines d’une réalité encore très actuelle apporte une meilleure vision de son évolution à travers le temps et confère un éclairage inédit sur les pratiques contemporaines.

L’interprète en contexte de crise

L’Anabase de Xénophon représente un témoin précieux du caractère essentiel, crucial de l’interprète dans les rapports interethniques, rapports souvent contraints par les événements. Pour amorcer ce sujet, il convient d’aborder les rôles de l’interprète. Il apparaît alors en messager d’une autorité, un représentant officiel astreint à la délivrance d’un message dont il n’est jamais l’initiateur. Mais, dans ce récit, le rôle que joue l’interprète dans la négociation se renforce en contexte de survie et le personnage assume l’interface entre la communauté de rescapés et le monde qui lui est hostile.

L’interprète, un insignifiant messager ?

Au cœur de l’expédition des Dix-Mille, l’interprète endosse d’abord le rôle de messager, c’est là sa fonction première. Par définition, le messager assure la transmission d’une information émise par un tiers à destination d’un autre, il garantit la liaison entre ces deux personnes. En aucun cas, il ne traduit le contenu du message dans une autre langue. En grec ancien, le messager est désigné par un terme spécifique : ἄγγελος. Il s’avère que ce terme est également présent dans l’Anabase. L’œuvre totalise en effet autant de références à l’interprète, ἑρμηνεύς, qu’au messager, ἄγγελος. De fait, si ce dernier mot qualifie bien le messager monolingue qui parcourt une distance minime pour relayer les informations précises entre Grecs (II, 1, 5 et IV, 3, 28), Xénophon l’utilise aussi pour désigner un envoyé potentiellement bilingue. Ainsi, le Grand Roi et le général grec Cléarque négocient une trêve par l’intermédiaire d’un ἄγγελος :

ἐπεὶ δὲ ἦν πρὸς τοῖς ἀγγέλοις , ἀνηρώτα (πρῶτα) τί βούλοιντο. οἱ δ᾽ ἔλεγον ὅτι περὶ σπονδῶν ἥκοιεν ἄνδρες οἵτινες ἱκανοὶ ἔσονται τά τε παρὰ βασιλέως τοῖς Ἕλλησιν ἀπαγγεῖλαι καὶ τὰ παρὰ τῶν Ἑλλήνων βασιλεῖ (II, 3, 4).

Quand il (Cléarque) fut près des envoyés, il leur demanda ce qu’ils voulaient. Ceux-ci dirent qu’ils venaient pour une trêve et qu’ils avaient tout pouvoir pour transmettre aux Grecs les propositions du Roi et réciproquement.

Il est impossible d’affirmer si ces messagers du roi perse s’expriment en grec ou si un interprète est alors présent pour traduire leurs propos du perse vers le grec. Néanmoins, cet extrait démontre l’usage du terme ἄγγελος en contexte bilingue. Il est donc tout à fait envisageable que l’auteur confonde l’interprète et le messager dans l’Anabase. Une association sémantique qui correspond également à leur proximité fonctionnelle. D’ailleurs, ἄγγελος est aussi assimilé à προφυλακή, l’avant-garde ou le héraut, lesquels évoquent davantage la fonction militaire de ces envoyés (II, 3, 3), et cela suggère aussi le bilinguisme de certains soldats.

Quels que soient ses synonymes dans l’œuvre, l’interprète se démarque fondamentalement du messager par ses compétences linguistiques, mais il accomplit une mission identique : communiquer un message dont il n’est ni l’auteur ni le destinataire. Il fait alors figure d’intermédiaire entre le contingent grec et leurs interlocuteurs étrangers (VI, 5, 10). La capacité de l’individu à s’exprimer dans des langues différentes est vectrice de lien entre les peuples. Cette compétence linguistique rompt l’herméticité apparente des cultures qui se rencontrent et favorise le dialogue tout en dissipant les plus vives tensions (Boëldieu-Trevet 2010).

De fait, l’envoi d’un interprète révèle un effort de compréhension de l’autre. C’est une démarche réfléchie qui émane d’une volonté de communiquer. Par exemple, l’un des satrapes perses, Tiribase, propose une rencontre des dignitaires grecs par le biais d’un interprète :

Οὗτος προσήλασεν ἱππέας ἔχων, καὶ προπέμψας ἑρμηνέα εἶπεν ὅτι βούλοιτο διαλεχθῆναι τοῖς ἄρχουσι (IV, 4, 5).

Cet homme (Tiribase) s’avança escorté de cavaliers et, après avoir dépêché un interprète, déclara qu’il voulait s’entretenir avec les commandants.

La présence de l’interprète permet ici d’établir le contact entre les adversaires. Toutefois, le personnage se contente de délivrer le message pour lequel il est missionné, il n’est donc pas supposé faire preuve d’initiative. Dans ces circonstances, l’interprète fait davantage office d’instrument de traduction que de personne propre, il est relégué au second plan, comme évoqué par simple souci du détail. Selon cette logique, l’interprète est perçu comme un outil d’échange et de transmission de la parole officielle. Ainsi, en tant qu’intermédiaire de Tiribase, l’interprète évoqué ci-dessus est astreint à la stricte transposition du discours vers une autre langue. Par conséquent, même si l’interprète endosse un rôle essentiel de traduction, il n’est en aucun cas l’instigateur du dialogue et moins encore le négociateur. Sur ce dernier aspect, Xénophon laisse très clairement entendre que jamais le messager n’est libre de la négociation :

ταῦτα ἀκούσαντες οἱ ἄγγελοι ἀπήλαυνον, καὶ ἧκον ταχύ· ᾧ καὶ δῆλον ἦν ὅτι ἐγγύς που βασιλεὺς ἦν ἢ ἄλλος τις ᾧ ἐπετέτακτο ταῦτα πράττειν·(II, 3, 6).

Sur cette réponse les envoyés s’éloignèrent et revinrent quelques instants après : ce qui prouvait que le Roi était dans les environs, lui ou quelque autre chargé de la négociation.

Dans cette scène de négociation entre le roi perse et l’armée grecque, les messagers perses sont uniquement chargés de reproduire la proposition de l’un auprès des autres, puis de rapporter la réponse avant à nouveau de revenir. L’auteur distingue ici très efficacement les messagers de ceux qui négocient, soit le roi en personne soit, probablement, ses hommes de confiance.

Selon cette idée, l’interprète accompagne et soutient les échanges mais ne s’y implique pas et conserve, théoriquement, un certain recul par rapport aux événements. L’interprète est, à cet égard, généralement invoqué comme moyen de communication. L’écriture de Xénophon accentue cette fonction instrumentalisée :

Ἐπεὶ δὲ ἀπήντησαν αὐτοῖς οἱ τῶν Ἑλλήνων στρατηγοί, ἔλεγε πρῶτος Τισσαφέρνης δι᾽ἑρμηνέως τοιάδε (II, 3, 17).

Les stratèges des Grecs allèrent au-devant d’eux et Tissapherne qui le premier prit la parole, dit ce qui suit par l’intermédiaire d’un interprète.

Dans cette phrase, la position de l’interprète dans le dialogue est d’autant plus perceptible. Tissapherne parle littéralement « au moyen de » ou « à travers » le truchement, δι᾽ἑρμηνέως. L’adverbe διά exprime ici le moyen mis en œuvre pour atteindre un objectif, ce qui reflète très clairement la vision instrumentalisée, réifiée de l’interprète (Vandenberghe 1992 ; Martin 2012). D’ailleurs, dans la plupart des scènes de l’Anabase où intervient un interprète, celui-ci s’approprie rarement la parole. Par exemple, lorsque le contingent arrive en Thrace sur la fin du périple, Xénophon demande audience auprès du roi Seuthès. Il missionne alors un interprète :

Ἐπεὶ δὲ ᾔσθετο, προπέμπει τὸν ἑρμηνέα ὃν ἐτύγχανεν ἔχων, καὶ εἰπεῖν κελεύει Σεύθῃ ὅτι ενοφῶν πάρεστι βουλόμενος συγγενέσθαι αὐτῷ. Οἱ δὲ ἤροντο εἰ ὁ Ἀθηναῖος ὁ ἀπὸ τοῦ στρατεύματος. Ἐπειδὴ δὲ ἔφη οὗτος εἶναι, ἀναπηδήσαντες ἐδίωκον· καὶ ὀλίγον ὕστερον παρῆσαν πελτασταὶ ὅσον διακόσιοι, καὶ παραλαβόντες ενοφῶντα καὶ τοὺς σὺν αὐτῷ ἦγον πρὸς Σεύθην (VII, 2, 19-20).

Quand Xénophon s’en fut rendu compte, il envoie en avant l’interprète qu’il avait avec lui, avec l’ordre de prévenir Seuthès que Xénophon était là et qu’il voulait conférer avec lui. Les gardes demandèrent si c’était l’Athénien de l’armée. Cet homme ayant dit que c’était bien lui, ils sautèrent sur leurs chevaux, s’élancèrent, et peu de temps après il y eut là environ deux cents peltastes qui prirent Xénophon avec ceux qui l’accompagnaient et qui les menèrent à Seuthès.

En tant que messager des Grecs, l’interprète est chargé de traduire et colporter la demande bien précise de son commandant. Un bref dialogue s’engage entre cet interprète et les gardes thraces, conversation visant à confirmer l’identité de Xénophon. Le truchement n’est pas libre de ses paroles, il est censé reproduire un message préalablement établi, toutefois, dans de telles circonstances, il se retrouve en autonomie et doit assumer seul l’issue de la discussion.

En règle générale, la position de retrait de l’interprète ne minimise pas pour autant son rôle, qui demeure un rôle charnière, dont les dignitaires ont parfaitement conscience. Cependant, lorsque l’interprète se retrouve privé de sa fonction la plus fondamentale, la pertinence de sa présence peut être légitimement remise en question. Ainsi, peu après l’extrait précédent, Xénophon décrit au détour d’une scène l’entourage de Seuthès :

Παρῆν δὲ καὶ Σεύθης βουλόμενος εἰδέναι τί πραχθήσεται, καὶ ἐν ἐπηκόῳ εἱστήκει ἔχων ἑρμηνέα· υνίει δὲ καὶ αὐτὸς Ἑλληνιστὶ τὰ πλεῖστα (VII, 6, 8).

Seuthès était présent ; il voulait savoir ce qui allait se passer ; il se tenait à portée de voix avec son interprète ; d’ailleurs sans l’aide de personne il comprenait presque tout ce qui se disait en grec.

Malgré sa maîtrise de la langue grecque, Seuthès porte un intérêt tout particulier à la dispute qui se déroule sous ses yeux, ce qui justifie la présence de son interprète. D’une part, l’extrait révèle les compétences linguistiques du monarque et suggère la grande érudition de celui-ci, accentuant son prestige ; d’autre part, l’extrait atteste la proximité de l’interprète avec les sphères du pouvoir. En l’occurrence, la présence d’un interprète à la cour de Seuthès insiste sur le caractère officiel de cette fonction et l’enjeu de la situation. Toutefois, dans cette scène, l’interprète n’a pas d’utilité réelle, il fait seulement acte de présence, il se trouve même dépossédé de sa compétence principale puisque Seuthès dispose déjà de cette capacité.

L’interprète occupe un rôle crucial d’intermédiaire entre les cultures et les peuples de langues différentes. C’est un messager dont la fonction primordiale repose sur ses compétences linguistiques et son aptitude à traduire les propos d’une langue vers une autre. Dans l’Anabase, la compréhension mutuelle est un élément essentiel au maintien d’une unité et d’un consensus entre alloglottes. Par conséquent, le rôle de l’interprète, déjà précieux en situation ordinaire, devient indispensable en contexte de crise.

Le garant de la négociation

Dans l’Anabase, les rares efforts de négociations consentis par les différentes factions constituent des étapes cruciales dont dépend le sort de milliers d’individus. La parole revêt alors une symbolique pacificatrice (Tuplin 2014). L’interprète intervient certes dans peu de scènes de l’Anabase, toutefois, Xénophon l’évoque lorsque des échanges déterminants surviennent. C’est le cas, par exemple, lorsque Tissapherne reçoit les stratèges grecs en vue de négocier une trêve.

Ἐπεὶ δὲ ἀπήντησαν αὐτοῖς οἱ τῶν Ἑλλήνων στρατηγοί, ἔλεγε πρῶτος Τισσαφέρνης δι᾽ἑρμηνέως τοιάδε (II, 3, 17).

Les stratèges des Grecs allèrent au-devant d’eux et Tissapherne qui le premier prit la parole, dit ce qui suit par l’intermédiaire d’un interprète.

En tant que voix de l’autorité publique, l’interprète incarne l’interlocuteur immédiat des deux partis. Sa présence est indispensable pour instaurer le dialogue et en restituer la teneur. La conformité de ses propos est donc impérative. Toutefois, si ces négociations inspirent quelque espoir de trêve aux Grecs, elles ne se soldent pas toujours par une accalmie dans le conflit. Ainsi, les pourparlers n’aboutissent pas systématiquement, au grand dam des mercenaires. La responsabilité des interprètes dans ce cas n’est jamais mise en cause.

De fait, dans l’Anabase, il est impossible d’identifier d’éventuels problèmes de compréhension, les Grecs et leurs interlocuteurs semblent se comprendre parfaitement en toutes circonstances. Xénophon ne fait référence à aucun malentendu d’origine linguistique. Pourtant, les Grecs ne sont pas seulement confrontés à la langue perse et il paraît difficilement concevable qu’ils aient maîtrisé les dialectes des peuples indigènes. Fait étrange au demeurant, dans cette œuvre, les Grecs disposent toujours d’un interprète pour nouer le contact avec leurs adversaires. Ainsi, au livre IV, les Grecs affrontent les Cardouques, une population locale qui leur oppose une très farouche résistante. Après de sanglantes batailles, les Grecs entament des négociations avec leurs ennemis.

ταῦτα δὲ διαπραξάμενοι οἱ βάρβαροι ἧκον ἐπ᾽ ἀντίπορον λόφον τῷ μαστῷ· καὶ ὁ ενοφῶν διελέγετο αὐτοῖς δι᾽ ἑρμηνέως περὶ σπονδῶν καὶ τοὺς νεκροὺς ἀπῄτει (IV, 2, 18).

Ce massacre accompli, les barbares vinrent sur une crête en face du mamelon. Xénophon traita avec eux par l’intermédiaire d’un interprète pour obtenir une trêve ; il réclamait aussi les morts.

Xénophon ne livre aucun détail sur la langue de la négociation : soit en perse, ce qui est plus probable, soit dans le dialecte cardouque si par chance un interprète grec le maîtrisait. Dans cette scène, la présence de l’interprète désamorce le conflit, du moins temporairement, et procure un répit aux deux armées. La parole de l’interprète s’apparente en cela à une parole salvatrice, elle apporte une solution pacifique à un conflit armé et permet de temporiser l’action militaire.

Les interprètes apportent un inestimable soutien à l’armée grecque car leurs interventions enrayent momentanément l’état de crise au profit d’une voie diplomatique. Parfois même, l’action de l’interprète permet d’éviter l’affrontement. C’est ce qui se produit à l’arrivée des Grecs en territoire macron. Les guerriers autochtones, peu équipés et peu nombreux, conscients de leur infériorité face au contingent grec, défendent leur frontière et sont prêts à combattre pour y parvenir. La situation est particulièrement tendue, jusqu’à ce qu’un personnage atypique entre en scène :

ἔνθα δὴ προσέρχεται ενοφῶντι τῶν πελταστῶν ἀνὴρ Ἀθήνησι φάσκων δεδουλευκέναι, λέγων ὅτι γιγνώσκοι τὴν φωνὴν τῶν ἀνθρώπων. καὶ οἶμαι, ἔφη, ἐμὴν ταύτην πατρίδα εἶναι· καὶ εἰ μή τι κωλύει, ἐθέλω αὐτοῖς διαλεχθῆναι. ἀλλ᾽ οὐδὲν κωλύει, ἔφη, ἀλλὰ διαλέγου καὶ μάθε πρῶτον τίνες εἰσίν. οἱ δ᾽ εἶπον ἐρωτήσαντος ὅτι Μάκρωνες (IV, 8, 4-5).

À ce moment s’approche de Xénophon un peltaste qui prétendait avoir été esclave à Athènes : il disait qu’il connaissait la langue de ces gens-là. « Et je crois bien, ajoutait-il, que ce pays est ma patrie ; si rien ne s’y oppose, je veux causer avec eux. » « Mais rien ne s’y oppose, répondit Xénophon, cause et apprends d’abord quels sont ces gens. » Ils répondirent à sa question qu’ils étaient des Macrons.

Cet impromptu personnage affirme reconnaître sa patrie natale et, par chance, semble se remémorer le dialecte local (Ma 2004, p. 331). Cette intervention quasiment miraculeuse offre l’opportunité aux Grecs de parlementer avec les Macrons.

ἐρώτα τοίνυν, ἔφη, αὐτοὺς τί ἀντιτετάχαται καὶ χρῄζουσιν ἡμῖν πολέμιοι εἶναι. οἱ δ᾽ ἀπεκρίναντο - ὅτι καὶ ὑμεῖς ἐπὶ τὴν ἡμετέραν χώραν ἔρχεσθε. λέγειν ἐκέλευον οἱ στρατηγοὶ ὅτι οὐ κακῶς γε ποιήσοντες, ἀλλὰ βασιλεῖ πολεμήσαντες ἀπερχόμεθα εἰς τὴν Ἑλλάδα, καὶ ἐπὶ θάλατταν βουλόμεθα ἀφικέσθαι. ἠρώτων ἐκεῖνοι εἰ δοῖεν ἂν τούτων τὰ πιστά. οἱ δ᾽ ἔφασαν καὶ δοῦναι καὶ λαβεῖν ἐθέλειν. ἐντεῦθεν διδόασιν οἱ Μάκρωνες βαρβαρικὴν λόγχην τοῖς Ἕλλησιν, οἱ δὲ Ἕλληνες ἐκείνοις Ἑλληνικήν· ταῦτα γὰρ ἔφασαν πιστὰ εἶναι· θεοὺς δ᾽ ἐπεμαρτύραντο ἀμφότεροι (IV, 8, 5-7).

« Demande-leur donc, dit Xénophon, pourquoi ils nous barrent la route, et quel besoin ils ont d’être nos ennemis. » « C’est qu’aussi vous envahissez notre pays », répondirent-ils. « Nous n’avons aucune intention de vous causer du tort ; nous avons fait la guerre au Roi, nous rentrons en Grèce, nous voulons gagner la mer. » Ceux-ci demandèrent s’ils donneraient des gages de ce qu’il disait. Les Grecs répondirent qu’ils étaient prêts à en donner comme à en recevoir. Alors les Macrons donnent une pique barbare aux Grecs, et ceux-ci une pique grecque aux Macrons. Ils prétendaient que chez eux c’étaient des gages. On prit aussi les dieux comme témoins des deux côtés.

Nouer le dialogue avec les autochtones confère aux Grecs l’occasion de clarifier leur situation et, réciproquement, de comprendre celle des Macrons. Cette scène reflète tout l’avantage d’une entente mutuelle : grâce à l’interprète, les deux peuples peuvent exposer leur position respective et engager une véritable discussion. Cette scène illustre la réussite totale des négociations, une victoire diplomatique officialisée par un serment.

Ainsi, en contexte de survie, la seule présence de l’interprète peut infléchir le cours des événements. Cependant, dans des conditions aussi extrêmes que celles de l’Anabase, il convient aussi de relever les risques vitaux qu’encourt l’interprète lors de ses déplacements. Effectivement, en contexte militaire, l’interprète accompagne généralement les commandants, s’il n’en est pas un lui-même, et comme tout mercenaire de l’expédition, il prend part aux combats. Le périple que relate Xénophon est fortement périlleux et nombre de soldats y perdirent la vie, certains peut-être furent interprètes. En tant que messager bilingue, il semble que l’interprète ait été, par sa fonction, envoyé plus régulièrement au-devant de l’ennemi afin d’entamer les pourparlers. Xénophon écrit à ce sujet qu’il a lui-même, lorsque les troupes arrivèrent en Thrace, dépêché un interprète auprès du roi Seuthès :

Ἐπεὶ δὲ ᾔσθετο, προπέμπει τὸν ἑρμηνέα ὃν ἐτύγχανεν ἔχων, καὶ εἰπεῖν κελεύει Σεύθῃ ὅτι Ξενοφῶν πάρεστι βουλόμενος συγγενέσθαι αὐτῷ (VII, 2, 19).

Envoie en avant l’interprète qu’il avait avec lui, avec l’ordre de prévenir Seuthès que Xénophon était là et qu’il voulait conférer avec lui.

Dans cet épisode, l’interprète incarne à la fois un messager et un éclaireur. Il ne traduit pas seulement la parole de Xénophon, il se rend seul auprès de Seuthès pour transmettre le message. Paradoxalement, si l’interprète est précieux pour ses aptitudes linguistiques, ces dernières justifient une prise de risque non négligeable. La scène ci-dessus est aussi révélatrice de la dépendance des chefs militaires envers leurs interprètes : sans eux, aucun dialogue ne serait envisageable. Cet aspect renforce la responsabilité des interprètes envers leurs commanditaires et confirme toute la nécessité de leur fonction.

L’Anabase témoigne du rôle des interprètes en contexte de survie, où les rapports interethniques semblent se cristalliser autour de l’intimidation militaire, une posture hostile qui s’impose au détriment de toute diplomatie. Toutefois, les interprètes contrebalancent sporadiquement ces rapports de force et initient des approches pacifiques, souvent salvatrices pour les armées. Loin d’être de simples messagers, bien qu’ils soient astreints à la stricte transposition de la parole d’un autre dans une langue étrangère, ces figures assument une fonction charnière en contexte de crise. En effet, l’interprète s’impose en garant de la diplomatie et, par extension, de la paix entre les peuples. Xénophon a lui-même côtoyé ces individus, c’est pourquoi il ne manque pas de relever leur présence dans les situations les plus délicates, où seule leur intervention semble en mesure de résoudre les conflits.

Les rôles de l’interprète étant clairement identifiés, il est possible à présent d’approfondir l’analyse de ce personnage bilingue. En effet, l’Anabase apporte quelques indices quant à l’identité des interprètes et les raisons de leur discrétion dans les textes.

Fonction de crise et crise de la fonction

Dans l’Anabase, le rôle primordial de l’interprétariat dans la négociation diplomatique tend à occulter l’identité même de l’individu au profit de son bilinguisme. Pourtant, les rares épisodes où l’interprète apparaît révèlent plusieurs caractéristiques fondamentales et identitaires de ce personnage. En effet, certaines scènes mettent en lumière la position élevée de l’interprète dans la hiérarchie socio-militaire décrite par Xénophon. Du fait de sa nécessité en contexte d’échanges interethniques, il est légitime d’interroger le potentiel prestige de l’interprétariat et la perception de celui-ci par les différents commandements. Toutefois, la mise en scène des interprètes dans l’Anabase demeure limitée. Bien souvent, ces individus sont anonymes, il est difficile de les différencier les uns des autres, comme si, malgré leur utilité et malgré leur nécessité, ils n’incarnaient rien de plus que de précieux outils de traduction. Ainsi, si l’interprète assume une fonction de crise, cette même fonction connaît, à sa propre échelle, une crise identitaire, existentielle, dans laquelle sa légitimité est remise en question.

Une fonction prestigieuse ?

Dans l’Anabase, l’interprète figure logiquement aux côtés des protagonistes des négociations, dont il traduit instantanément la parole. Par conséquent, il semble naturel que l’interprète ait fait partie de l’entourage proche des décisionnaires. Aussi, les commandants militaires disposent d’interprètes dans leur cercle immédiat. Xénophon écrit qu’il est lui-même accompagné d’un interprète (VII, 2, 19). Toutefois, le statut de ces personnages se précise lorsqu’ils apparaissent auprès des souverains. En effet, dans l’œuvre de Xénophon, deux interprètes sont clairement identifiés : Pigrès, truchement de Cyrus le Jeune jusqu’au trépas de celui-ci et Abrozelmès, au service du roi thrace Seuthès.

Au premier livre de l’Anabase, lorsque l’armée est sous le commandement de Cyrus le Jeune, celui-ci apparaît en compagnie d’un certain Pigrès, que Xénophon mentionne à trois reprises dans son texte :

Ἐπειδὴ δὲ πάντας παρήλασε, στήσας τὸ ἅρμα πρὸ τῆς φάλαγγος μέσης, πέμψας Πίγρητα τὸν ἑρμηνέα παρὰ τοὺς στρατηγοὺς τῶν Ἑλλήνων ἐκέλευσε προβαλέσθαι τὰ ὅπλα καὶ ἐπιχωρῆσαι ὅλην τὴν φάλαγγα (I, 2, 17).

Quand il eut passé sur tout le front, Cyrus arrêta son char devant le centre de la phalange, puis ayant envoyé Pigrès l’interprète auprès des stratèges des Grecs, il ordonna que toute la colonne chargeât, les armes en avant.

Cet extrait illustre avant tout le rôle stratégique et fédérateur de Pigrès puisqu’ici le fait de traduire et transmettre les ordres de Cyrus assure la bonne coordination des troupes. Pigrès intègre donc le haut commandement de l’armée et l’entourage du prince grâce à ses aptitudes linguistiques. Mais il est aussi fort possible qu’il ne soit pas interprète de métier mais qu’il s’agisse uniquement de l’une de ses fonctions de dignitaire ; cette éventualité pourrait être confirmée par l’extrait suivant :

Καὶ δή ποτε στενοχωρίας καὶ πηλοῦ φανέντος ταῖς ἁμάξαις δυσπορεύτου ἐπέστη ὁ Κῦρος σὺν τοῖς περὶ αὐτὸν ἀρίστοις καὶ εὐδαιμονεστάτοις καὶ ἔταξε Γλοῦν καὶ Πίγρητα λαβόντας τοῦ βαρβαρικοῦ στρατοῦ συνεκβιβάζειν τὰς ἁμάξας (I, 5, 7).

Un jour qu’on était dans un passage étroit, que la boue rendait difficile aux chariots, Cyrus s’arrêta avec les personnages les plus distingués, les plus riches de son entourage, et il ordonna à Glous et à Pigrès de prendre avec eux un détachement de barbares et de tirer les chariots de ce mauvais pas.

Il est très probable qu’il s’agisse du même Pigrès, toutefois une ambiguïté demeure : Xénophon précise que Cyrus est alors entouré des meilleurs et des plus fortunés, puis il s’adresse aux deux personnages susnommés, Glous et Pigrès ; mais ces derniers font-ils partie « des meilleurs et des plus fortunés » ? Ou bien sont-ils extérieurs à ce cercle de seigneurs ? Il paraît séduisant d’inclure ces deux individus au groupe princier, pourtant il semble plus raisonnable de penser qu’ils sont hiérarchiquement, et pas uniquement socialement, soumis à Cyrus, car celui-ci leur donne un ordre direct, comme un général s’adressant à ses subalternes ; cette idée fait d’ailleurs écho à la scène suivante, où Cyrus s’isole avec les seigneurs tandis que Glous et Pigrès s’affairent au commandement des troupes, ce qui les exclut de ce cercle privilégié. Dans ces circonstances, l’interprète apparaît certes proche du seigneur mais sans pour autant partager son intimité, leur lien hiérarchique étant clairement assumé. Cela ne minimise en rien le statut de l’interprète, et plus précisément de Pigrès. Dans l’extrait ci-dessus, Xénophon n’identifie pas Pigrès à l’interprétariat ; bien entendu, on ne peut exclure l’existence d’un homonyme dans le commandement perse, mais tout porte plutôt à penser que le contexte de cette scène justifie ce choix de l’auteur. En effet, Pigrès n’est pas ici missionné pour traduire un message, il est chargé d’assister le déplacement du train de l’armée, une tâche pour laquelle ses compétences bilingues sont inutiles : Xénophon précise que Pigrès et Glous mobilisent un détachement de barbares, or il qualifie par ce terme les soldats perses. La référence à la fonction d’interprète de Pigrès ne revêt aucun intérêt narratif dans cet épisode (Rood 2017), c’est pourquoi elle en est absente.

La fonction en question reparaît quelques chapitres plus loin, et l’utilité de la référence ne fait cette fois-ci aucun doute :

Καὶ ἐν τούτῳ Κῦρος παρελαύνων αὐτὸς σὺν Πίγρητι τῷ ἑρμηνεῖ καὶ ἄλλοις τρισὶν ἢ τέτταρσι τῷ Κλεάρχῳ ἐβόα ἄγειν τὸ στράτευμα κατὰ μέσον τὸ τῶν πολεμίων, ὅτι ἐκεῖ βασιλεὺς εἴη (I, 8, 12).

À ce moment, Cyrus passant sur le front avec Pigrès l’interprète, et trois ou quatre cavaliers, cria à Cléarque de mener son armée contre le centre de l’ennemi.

En écho à sa première apparition, Pigrès fait ici explicitement usage de ses aptitudes linguistiques en communiquant les ordres de Cyrus à l’un des stratèges grecs, Cléarque. A nouveau, il se tient aux côtés du chef militaire et, indication intéressante, c’est un cavalier, ce qui accentue son statut privilégié. Effectivement, cela signifie qu’il a appris l’équitation et sait monter à cheval, une discipline onéreuse bien souvent réservée à une élite. Cela suggère que l’interprète officiel du pouvoir n’était pas un simple soldat, du moins dans le cadre de la diplomatie formelle, c’était très certainement un dignitaire. L’exemple de Pigrès démontre bien le prestige de cette fonction et sa complémentarité avec le commandement militaire.

Xénophon évoque dans son œuvre un second interprète : Abrozelmès, qui n’apparaît qu’une seule et unique fois. Le contexte est très différent de celui de Pigrès, le personnage est évoqué au septième livre, lorsque les Grecs arrivent en Thrace et sont enrôlés par le roi Seuthès.

Καὶ ἐντεῦθεν Σεύθης πέμπει Ἀβροζέλμην τὸν ἑαυτοῦ ἑρμηνέα πρὸς Ξενοφῶντα καὶ κελεύει αὐτὸν καταμεῖναι παρ᾽ ἑαυτῷ ἔχοντα χιλίους ὁπλίτας, καὶ ὑπισχνεῖται αὐτῷ ἀποδώσειν τά τε χωρία τὰ ἐπὶ θαλάττῃ καὶ τὰ ἄλλα ἃ ὑπέσχετο (VII, 6, 43).

De là Seuthès envoie à Xénophon Abrozelmès, son interprète, et le prie de rester à son service avec mille hoplites, s’engageant de lui donner les places maritimes et tout ce qu’il lui a promis.

Le grec apporte ici une nuance essentielle jusqu’à présent absente des extraits, l’interprète ici mentionné n’est pas simplement mis à la disposition de Seuthès, il s’agit de son serviteur attitré. L’expression τὸν ἑαυτοῦ ἑρμηνέα exprime ici le possessif et explicite le lien d’appropriation entre le roi Seuthès et Abrozelmès. Contrairement aux extraits précédemment étudiés, c’est la première et unique occurrence d’un interprète dédiant ses compétences à un même maître ; le possessif n’étant jamais employé dans le cas de Pigrès. Derrière cette référence transparaît l’épreuve des compétences et de l’expertise de l’interprète car celui-ci a dû faire l’objet d’un choix hautement réfléchi avant d’être affecté au service exclusif du souverain. Par conséquent, le statut privilégié d’Abrozelmès suggère l’excellence de ses aptitudes linguistiques. Néanmoins, il convient aussi d’envisager le fait que Seuthès ait pu disposer de plusieurs interprètes, chacun maîtrisant des langues ou dialectes différents. Concernant Abrozelmès, seule sa maîtrise du grec est ici sous-entendue, puisque c’est elle qui importe dans le contexte en vigueur, mais peut-être connaissait-il d’autres langues. De même, le statut social de cet interprète demeure incertain, était-ce un homme de condition libre ou au contraire un individu asservi ? L’auteur ne livre aucun indice sur cet aspect, le nom d’Abrozelmès comporte une sonorité perse, ce qui reflète peut-être ses origines.

Toujours est-il qu’Abrozelmès s’impose en homme de confiance du monarque. Il incarne un représentant du pouvoir fiable, accomplissant sa mission seul, sans son maître. Cela implique la loyauté de l’interprète envers son chef ; à partir du moment où l’interprète se retrouve en autonomie, il possède une indéniable influence sur le cours des événements : une influence tributaire de sa promptitude et de sa volonté à relayer le message dont il est porteur. Xénophon ne mentionne Abrozelmès que dans cet extrait, cependant, il est question quelques chapitres plus tôt d’un interprète présent à la cour de Seuthès (VII, 6, 8). L’auteur ne livre pas le nom de l’individu, de même qu’il n’utilise pas le possessif pour l’attribuer à Seuthès. Il semble étrange que l’auteur n’ait pas profité de cette première scène pour introduire Abrozelmès, puisqu’il intervient ensuite, auquel cas il s’agirait d’un autre interprète. Mais d’un point de vue narratif, Xénophon, en tant que personnage de l’œuvre, ne connaît pas encore, à ce stade du récit, le nom d’Abrozelmès, d’autant plus que celui-ci reste en retrait. De fait, les deux théories se valent et il s’avère impossible de confirmer l’identité de cet interprète.

Dans l’Anabase, seuls deux interprètes sont nommés et identifiés : Pigrès, au service de Cyrus le Jeune, et Abrozelmès, au service du roi Seuthès. Dans les deux cas, il s’agit d’individus proches du pouvoir sur lesquels repose la compréhension réciproque des alloglottes. Toutefois, malgré le prestige de cette fonction, l’interprète est peu valorisé, même dans l’œuvre de Xénophon. Bien souvent, le truchement est réduit à l’anonymat, un phénomène d’amoindrissement du personnage qui pourrait refléter les intentions d’écriture de l’auteur.

Anonymat et mutisme

L’Anabase comporte au total dix occurrences de l’interprète pour lesquelles le terme dédié, ἑρμηνεύς, est employé. Trois concernent Pigrès, une autre (voire deux) Abrozelmès, et les six (ou cinq) dernières portent sur des anonymes. Compte tenu du rôle central qu’occupent les interprètes dans cette œuvre, il peut paraître surprenant que Xénophon leur ait accordé si peu de considération. Effectivement, l’anonymat des interprètes induit une déperdition identitaire face à laquelle l’historien se trouve démuni ; l’anonymat condamne toute chance de différencier les interprètes, de les recenser et de les étudier dans leur diversité.

De surcroît, dans seulement quatre des dix extraits où il figure, l’interprète s’exprime par lui-même. Pourtant, l’œuvre regorge de très nombreux dialogues. Mais le fait est que Xénophon restitue rarement la parole de l’interprète. Cela se produit, par exemple, lorsque des représentants perses arrivent auprès des Grecs :

ὁ δὲ τῶν Ἑλλήνων ἑρμηνεὺς ἔφη καὶ τὸν Τισσαφέρνους ἀδελφὸν σὺν αὐτοῖς ὁρᾶν καὶ γιγνώσκειν·(II, 5, 35).

L’interprète des Grecs dit qu’il voyait aussi avec eux le frère de Tissapherne, qu’il le reconnaissait.

Dans cet extrait, l’interprète est le sujet de la phrase et le locuteur principal. Ici, il ne se contente pas de transposer la parole d’un autre, il prend l’initiative du dialogue. Mais plutôt que de nommer clairement l’émetteur de l’intervention, Xénophon choisit de le valoriser par sa fonction caractéristique : l’interprétariat. Par ailleurs, mérite également d’être relevée l’excellente connaissance du parti adverse dont fait preuve l’interprète car il identifie spontanément les dignitaires perses. Il est impossible de déterminer s’il s’agit d’un même interprète dans les différents extraits ou non. Toutefois, sur plus de dix mille soldats grecs, il paraît raisonnable d’estimer que plusieurs d’entre eux, notamment parmi les plus érudits et les plus hauts gradés, aient assumé la fonction d’interprète. Il y aurait donc eu une petite poignée d’interprètes actifs tout au long de l’expédition. De fait, quand leurs interventions favorisent la progression du contingent, Xénophon n’a pas manqué de les retranscrire, suggérant parfois leur liberté d’expression et laissant subtilement paraître leur individualité.

Dans l’improvisation de la survie, l’interprète joue un rôle de premier plan auprès des peuples autochtones. Ainsi, la fonction elle-même semble parfois faire l’objet d’adaptation immédiate à une situation inattendue. L’individu, dans ce cadre, hérite de cette fonction sans y être préparé. L’Anabase présente notamment le cas de l’interprète macron exposé plus haut.

Pour rappel, dans cet épisode, un fantassin grec découvre au contact du peuple macron qu’il en connaît le dialecte. Ce temps constitue une étape clé dans la retraite des Grecs car l’aide des Macrons leur sera très précieuse. Xénophon relate cette histoire surprenante et choisit le discours direct pour restituer l’échange entre le soldat et son supérieur, puis entre les Grecs et les Macrons. D’abord, le peltaste réalise qu’il comprend la langue et s’empresse d’en référer à son chef, qui n’est autre que Xénophon. Le fantassin demande la permission de parlementer avec ceux qu’il pense être ses compatriotes. Dans ces circonstances, la connaissance de la langue, doublée d’une motivation personnelle, érige le soldat au rang d’interprète. L’initiative émane du soldat car il y voit un intérêt propre, cependant, Xénophon se révèle tout à fait favorable à la discussion et curieux de comprendre ce peuple inconnu.

Mais l’auteur opère, dans l’écriture, un changement de position dès lors qu’un échange s’engage entre les deux camps. Dans un premier temps, le fantassin et futur interprète se situe au centre du récit. Puis, à partir du moment où Xénophon place son subalterne entre le peuple étranger et le contingent grec, l’interprète disparaît au profit de la communauté des Grecs. Ce changement d’échelle est assez brutal puisqu’après la réponse des Macrons, les Grecs semblent s’exprimer d’une seule et même voix. L’interprète est toujours présent mais son action de médiateur engendre un effacement de l’individu, comme une dissolution de l’intermédiaire au sein du collectif qu’il représente. Dans ce dernier extrait, l’interprétariat apparaît comme une fonction improvisée, assumée temporairement par un anonyme sur lequel l’auteur ne s’attarde pas davantage.

Les interprètes de l’Anabase sont majoritairement anonymes, leur identité demeure donc très confuse. Toutefois, en de rares occasions, ces individus prennent l’initiative de la parole. Force est de constater que lorsqu’ils sont présents, les interprètes se trouvent dépossédés de leur principal atout : la parole. Ainsi, à l’image de l’interprète macron, celui qui endosse cette fonction est inéluctablement réduit au silence par l’auteur, au point de disparaître complètement du récit. Dans une œuvre comme l’Anabase, où le contexte suppose un recours systématique aux interprètes, un total de dix références explicites à ces derniers est dérisoire. Le bilinguisme, inhérent au périple des Grecs, est un grand absent du récit. Cela signifie-t-il que les protagonistes du récit ne se sont pas ou très peu heurtés à la barrière culturelle et linguistique des locaux ? Étant donné que les principaux interlocuteurs des Grecs sont de langue perse, il est tout à fait probable que, parmi l’élite grecque qui rejoignit l’armée de Cyrus le Jeune, certains commandants aient été familiarisés avec la langue perse. Inversement, les généraux perses, parfois satrapes (équivalents des gouverneurs) de cités grecques, étaient susceptibles de connaître la langue hellénique. Cela expliquerait, selon Bruno Rochette, le fait qu’un interprète officiel tel que Pigrès figure si irrégulièrement dans les prises de parole de Cyrus. En effet, si le prince connaissait déjà très bien le grec, il ne lui était pas utile de recourir systématiquement à son interprète (Rochette 1996, p. 334) pour s’adresser aux contingents hellènes.

Le fait que les élites des différents peuples maîtrisaient des langues étrangères, tel le roi Seuthès (VII, 6, 8), peut effectivement justifier l’apparente fluidité et facilité des échanges. Cependant, si certains individus maîtrisaient le grec, le perse, ou encore d’autres dialectes, ils ne représentaient certainement pas une majorité. De surcroît, bien que certains commandants grecs ou perses aient été accoutumés à la langue des uns et des autres, cela n’excuse pas l’amoindrissement du bilinguisme dans l’œuvre. Pour les quelque dix mille soldats grecs livrés à eux-mêmes en territoire ennemi, la barrière de la langue demeurait un véritable obstacle. Xénophon en témoigne par ailleurs puisque les interventions des interprètes se révèlent bien souvent salvatrices pour toute l’armée. Cependant, l’interprète fait l’objet d’une instrumentalisation. Comme évoqué plus haut, le locuteur s’exprime parfois « au moyen d’un interprète », δι᾽ἑρμηνέως. Bien que l’interprète soit le médiateur de la parole, Xénophon privilégie l’initiateur du dialogue au détriment du truchement (Penke 2000). Si l’interprète effectue bien une traduction simultanée des échanges, l’auteur attribue la parole au chef militaire. Il valorise ainsi l’acteur des négociations. Ce procédé littéraire atténue grandement le rôle de l’interprète dans des scènes capitales. Transformé en outil de traduction, l’individu subit une forme de déshumanisation, dans laquelle il perd à la fois son identité, sa fonction stratégique et sa caractéristique majeure, la parole. Ce manque de considération est d’autant plus marqué par la rareté des références à ces individus. Mais il ne faudrait pas considérer l’absence des interprètes dans l’œuvre comme un simple oubli de l’auteur, elle a plutôt été sciemment éludée.

En effet, l’Anabase dépeint un monde d’échanges diplomatiques constants, un monde dans lequel l’interprétariat fait partie du quotidien. Or, Xénophon ne s’attarde pas sur les faits ordinaires dans son récit. De surcroît, comme l’écrit Rochette, les auteurs antiques ne sont pas sensibles au langage employé, mais davantage au contenu du discours (Rochette 1996, p. 327).

Plusieurs siècles après Xénophon, l’absence des intermédiaires et notamment des interprètes persiste dans la littérature grecque. Au premier siècle de notre ère, Arrien, grand admirateur de Xénophon, écrivit une seconde mais non moins célèbre Anabase relatant la vie et les conquêtes d’Alexandre III de Macédoine. La diplomatie et les échanges interethniques, bien plus nombreux et diversifiés que dans le récit de Xénophon, y tiennent une place prédominante. Pourtant, le texte d’Arrien ne présente que deux occurrences (IV, 3 et VII, 1) de l’interprète parmi les sept livres dédiés aux expéditions militaires du roi macédonien.

Indubitablement, l’interprète était systématiquement présent en contexte de diplomatie étrangère, sa fonction est donc implicite pour le lectorat de l’époque. En complément de cette première explication, l’auteur a sûrement choisi d’amenuiser l’action de l’interprète pour mieux valoriser l’initiateur du discours (Pontier 2001). Emily Baragwanath relève ainsi que, dans l’Anabase, la mise en scène des dialogues intègre une logique de valorisation des personnages, à la fois à travers l’éloquence des chefs militaires et l’héroïsme des commandants grecs. Dans cette idée, les discours soutiennent les instants décisifs et contribuent à l’intensité dramatique (Baragwanath 2017, p. 286). L’interprète n’aurait donc pas eu sa place dans cette construction narrative de la bravoure des Grecs.

Conclusion

L’Anabase fournit une documentation certes très restreinte mais qualitative de l’interprétariat en contexte de crise. Dans ce récit, l’interprète incarne un messager et un médiateur de premier plan entre les Grecs et les autochtones. Il assume, de fait, une lourde responsabilité car de ses compétences dépendent d’une part la bonne gestion des troupes, d’autre part l’issue pacifique des conflits. À travers les dix références à ces personnages, il est possible d’en distinguer quelques traits caractéristiques. Xénophon dissémine ainsi quelques indices quant au statut élevé de l’interprète dans la hiérarchie sociale et militaire. Cependant, il serait inapproprié de généraliser cette théorie à tous les interprètes de l’Anabase car, au sein du contingent grec, il semble que certains soldats aient improvisé une telle fonction au gré des populations rencontrées.

Le fait est que la plupart des interprètes sont anonymes. Xénophon semble s’être appliqué à spolier les interprètes de leurs fonctions cruciales. Cela s’observe notamment dans la distribution de la parole lors des discours ou dialogues : l’interprète s’exprime rarement par lui-même, il est employé par les commandants tel un simple outil de traduction. Et, plus généralement, l’interprète est simplement absent des scènes de négociation. Une lacune qui s’explique sûrement par une présence implicite de l’interprète et sur laquelle Xénophon, comme ses contemporains, n’a pas ressenti l’utilité d’insister.

L’étude de l’interprète dans l’Anabase de Xénophon met en exergue la difficile traçabilité du traducteur en Antiquité. Les conditions exceptionnelles de l’expédition des Dix-Mille justifient les quelques précieux rappels de la présence du truchement, tels des sursauts de réalisme au cœur d’un récit épique. Ce que démontre parfaitement le texte, c’est que l’interprétariat est une fonction de crise par excellence : la parole bilingue revêt un enjeu salvateur, elle offre un espoir de trêve. Toutefois, cette parole est elle-même en crise car elle fait l’objet d’une véritable censure : celle des interprètes étant étouffée au profit de celle des généraux.

Finalement, l’invisibilité des intermédiaires dans les sources de l’Antiquité peut être questionnée à plus grande échelle temporelle car ce phénomène persiste dans les sociétés contemporaines. Ainsi, les traducteurs, les interprètes ou les doubleurs de cinéma sont autant d’acteurs et de locuteurs dont le travail en coulisse n’est pas toujours reconnu malgré son utilité et sa qualité (Ladmiral 1994 ; Eco 2007 ; Ost 2009). Soit, autant d’hommes et de femmes de l’ombre qui facilitent au quotidien la compréhension d’un monde aussi complexe que varié.

1 Dictionnaire en ligne, entrée no 2 du terme « interprète » : dictionnaire-academie.fr/article/A9I1759

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1 Dictionnaire en ligne, entrée no 2 du terme « interprète » : dictionnaire-academie.fr/article/A9I1759

Ophélie Lécuyer

Docteur en histoire ancienne, université Côte d’Azur, CEPAM (Cultures et environnements, préhistoire, Antiquité, Moyen Âge), France

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